vendredi 5 septembre 2014

Chagrin d'amitié.

 
A chaque fois que je passe par la rue Hmam Drayjat,
Une maison basse, à porte cintrée
Me fixe d’un air mélancolique,
D’un air que, moi, seul, suis capable de comprendre,
Car les blessures d’enfance sont indélébiles.
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          Dans cette maison, il y a plus de cinquante ans, habitait Bendriss, un camarade de classe, un ami d’enfance. Nous étions deux mômes inséparables, d’une ressemblance très marquée tant sur le plan physique que sur celui du caractère. Deux bambins de huit ou neuf ans, doux, renfermés, presque muets. Si les gens se complètent en unissant leurs différences, nous, c’était cette affinité qui nous rassemblait et nous soudait intimement.

          Un jour, je ne sais par quelle malencontreuse circonstance, nous nous fâchâmes. Dieu sait combien la brouille des enfants est sévère et douloureuse. Aller à l’école devint alors, pour moi, une contrainte pour ne pas dire un supplice, car passer par cette rue aurait été vu comme une faiblesse, une concession unilatérale, une prédisposition à la réconciliation. A vrai dire, cette idée n’était pas absente mais où trouver le courage de l’avouer ? Il fallait donc résister, mais à quel prix !?

          S’il arrivait que nos regards se croisent dans la cours de récréation, chacun de nous affichait maladroitement un air arrogant. Mais, sous l’effet de l’innocence infantile, chacun « volait », par le coin de l’œil, un regard discret, et chacun se convainc qu’il n’avait pas été remarqué par l’autre. Que d’épreuves pour ces petits cœurs contraints à cet exercice d’hypocrisie sociale !

          Il nous arrivait, chacun de son côté, de nous rendre dans nos rues respectives, sous les auspices de la nuit, pour être vu par l’autre et sans être vue par l’autre. Manigance inepte, dilemme insoluble Absurde équation que seuls des petits cœurs meurtris pouvaient poser et que seule la raison enfantine croyait résoudre.

          Alors, et puisque les natures timides ne se confient pas aux autres, le feu de la rupture, profitant de cet isolement, continuait à faire des ravages. J’en souffrais en silence ; j’en pleurais en cachette.

          Pendant les grandes vacances de cette même année, j’appris que la famille Bendriss avait déménagé pour une destination inconnue. La rupture fut alors entièrement et brutalement consommée. Le sevrage par l’éloignement fut long et pénible. La plaie, sous l’effet du temps et de l’âge, s’est cicatrisée mais non sans laisser des séquelles.
          C’est pourquoi, et après plus de cinquante ans,
A chaque fois que je passe par la rue Hmam Drayjat,
Une maison basse, à porte cintrée
Me fixe d’un air mélancolique,
D’un air que, moi, seul, suis capable de comprendre,
Car les blessures d’enfance sont indélébiles.

Mohammed Marouazi
Le palmier solitaire - Editions Edilivre- Paris

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